N'envions rien

Victor Hugo, L'âme en fleur, Les contemplations

 

N'ENVIONS RIEN

Ô femme, pensée aimante
Et coeur souffrant,
Vous trouvez la fleur charmante
Et l'oiseau grand ;

Vous enviez la pelouse
Aux fleurs de miel ;
Vous voulez que je jalouse
L'oiseau du ciel.

Vous dites, beauté superbe
Au front terni,
Regardant tour à tour l'herbe
Et l'infini :

« Leur existence est la bonne ;
« Là, tout est beau ;
« Là, sur la fleur qui rayonne,
« Plane l'oiseau !
  
 « Près de vous, aile bénie,
« Lys enchanté,
« Qu'est-ce, hélas ! que le génie
« Et la beauté ?

« Fleur pure, alouette agile,
« À vous le prix !
« Toi, tu dépasse Virgile ;
« Toi, Lycoris !

« Quel vol profond dans l’air sombre !
« Quels doux parfums ! – »
Et des pleurs brillent dans l'ombre
De vos cils bruns.

Oui, contemplez l'hirondelle,
Les liserons ;
Mais ne vous plaignez pas, belle,
Car nous mourrons !

Car nous irons dans la sphère
De l'éther pur ;
La femme y sera lumière,
Et l'homme azur ;

Et les roses sont moins belles
Que les houris ;
Et les oiseaux ont moins d'ailes
Que les esprits !



VICTOR HUGO
L'âme en fleur
Les contemplations